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PELL, SECTEUR BLEU UN ; 5/10/52 ; 0900 HEURES.

Un soldat était en faction au croisement. Jon Lukas hésita, mais c’était le meilleur moyen d’attirer l’attention. Le soldat porta la main à son arme. Jon avança nerveusement, sa carte à la main, la montra, et le soldat, stature imposante, peau mate, la prit et la regarda en fronçant les sourcils.

« C’est un passe du Conseil, » expliqua Jon. « Sans restrictions d’accès. »

— « Bien, monsieur, » dit le soldat. Jon reprit sa carte, s’engagea dans le couloir, avec l’impression que le soldat le regardait toujours. « Monsieur. »

Il se retourna.

« M. Konstantin est à son bureau, monsieur. »

— « Sa femme est ma sœur. »

Il y eut un instant de silence.

— « Bien, monsieur, » fit tranquillement le soldat avant de reprendre son immobilité de statue. Jon tourna les talons et s’éloigna.

Angelo se débrouille bien, se dit-il avec amertume, pas de surpopulation, ici, il ne touche pas à son espace vital. Toute l’extrémité du couloir quatre appartenait à Angelo.

Et à Alicia.

Il s’arrêta devant la porte, hésita, l’estomac noué. Il était venu jusque-là. Il y avait, au croisement, un soldat qui poserait des questions, chercherait à connaître les raisons de ce comportement étrange. Il était impossible de reculer. Il appuya sur le bouton, attendit.

« Qui ? » demanda une voix grêle qui le prit au dépourvu. « Qui être là ? »

— « Lukas, » répondit-il. « Jon Lukas. »

La porte s’ouvrit. Une Downer frêle, au pelage gris, leva sur lui des yeux entourés de rides.

— « Moi Lily, » dit-elle.

Il passa devant elle, entra et regarda le salon faiblement éclairé, les meubles coûteux, le luxe, l’espace. Lily resta un instant immobile, inquiète, laissa la porte se renfermer. Il pivota, le regard attiré par la lumière, aperçut une pièce, un dallage blanc, avec l’illusion de fenêtres donnant sur l’espace.

« Tu viens voir elle ? » demanda Lily.

— « Dis-lui que je suis ici. »

— « Moi dire. » La vieille Downer s’inclina, sortit d’une démarche énergique, courbée. L’endroit était silencieux, mortellement calme. Il attendit dans le salon obscur, ne sachant que faire de ses mains, l’estomac de plus en plus contracté.

On parlait, dans la pièce. « Jon, » entendit-il à un moment donné. La voix d’Alicia. Au moins, c’était une voix humaine. Il frissonna, physiquement mal à l’aise. Il n’était jamais venu. Jamais. Avait vu Alicia sur un écran, minuscule enveloppe blanchie que les machines maintenaient en vie. Il était venu. Il ne savait pas pourquoi… et savait. Pour savoir la vérité… pour savoir… s’il aurait le courage de sacrifier Alicia ; si c’était une existence qui valait la peine d’être vécue. Toutes ces années… les images, les images froides, transmises, il parvenait à les supporter, mais être dans la même pièce, la regarder en face, être obligé de lui parler…

Lily revint, les mains croisées, s’inclina.

« Toi venir. Toi venir maintenant. »

Il avança. Fit la moitié du chemin conduisant à la pièce au dallage blanc, la pièce stérile, silencieuse, puis son estomac se crispa.

Soudain, il fit demi-tour et prit la direction de la porte.

« Toi venir ? » fit Lily, d’une voix étonnée qui le poursuivit. « Toi venir, monsieur ? »

Il appuya sur le bouton et sortit, laissa la porte se fermer derrière lui, respira l’air plus frais, plus vif, du couloir.

Il s’éloigna rapidement de cet endroit, des Konstantin.

« M. Lukas ? » dit le soldat en faction, quand il arriva au croisement, le regard inquisiteur malgré la politesse.

— « Elle dort, » dit-il ; il avala sa salive, continua de marcher, essayant à chaque pas de chasser cet appartement et cette pièce blanche de son esprit. Il se souvenait d’une enfant, d’une jeune fille, de quelqu’un d’autre. Cela devait rester ainsi.